Soldats de fortune













"Les historiens nationalistes russes répètent à l'envie que la victoire des bolcheviks dans la guerre civile a été dûe aux 300 000 étrangers des bataillons et régiments "internationalistes" composés de Chinois, de Hongrois, d'Allemands, anciens prisonniers de guerre, ou de Coréens qui avaient fui leur pays soumis à une féroce occupation japonaise. Dans leur xénophobie, ils comptent même souvent parmi ces internationalistes des régiments de Bachkirs et de Kirguizes, populations qui faisaient partie de l'empire russe depuis des décennies.(...)
Le premier recrutement de Chinois dans l'Armée Rouge s'est effectué de façon pittoresque. Le général Iona Iakir, que Staline fera, lui aussi, condamner à mort en juin 1937 aux côtés de Primakov, Toukhatchevsky, Poutna et quelques autres, raconte comment l'armée rouge en Ukraine recruta, sans l'avoir cherché, 450 Chinois enfuis de Roumanie. De garde un soir de janvier 1918, il est réveillé à l'aube par un cri.
" Je me frottais les yeux ; devant moi se tenait un Chinois vêtu d'une sorte de jaquette bleue. Il prononça un mot :
- Vassiki. Je suis, à moi, Vassiki.
- Qu'est-ce-que tu veux ? lui demandai-je.
- Il faut Chinois.
- De quel Chinois tu me parles ?
Il répéta :
- Il faut Chinois ?
Je ne comprenais pas ce qu'il voulait...
"Deux heurs plus tard, le même Chinois entra dans notre état-major et par signes nous invita à sortir. Nous sortîmes et nous comprîmes : environ 450 Chinois se tenaient alignés dehors. Au cri de "Vassiki", ils se raidirent. Les Roumains avaient fusillé trois Chinois qu'ils soupçonnaient d'espionnage. Furieux, les Chinois qui travaillaient à l'arrière du front dans une exploitation forestière se rallièrent à nous.
"Nus et affamés, ils formaient un tableau effrayant. Nous étions peu nombreux et nous avions beaucoup d'armes que nous n'aurions pas pu emporter et qu'il aurait fallu abandonner. Nous décidâmes qu'ils feraient des soldats (et la suite montra qu'ils étaient des soldats remarquables). Nous les avons chaussés, vêtus, armés. Leur bataillon donnait l'impression de petits soldats de plomb."(...)
Il y eut juste un incident regrettable. Ils recevaient une indemnité de 50 roubles par mois qu'ils prenaient très au sérieux. Ils donnaient aisément leur vie, mais il fallait les payer en temps et les nourrir convenablement. Un jour, leurs délégués viennent me voir et me disent : "Vous avez engagé 530 de nos hommes, vous devez payer pour tous." Ils se partageaient entre eux l'argent des morts (dans ce combat nous avions perdu 80 hommes). Je discutais longtemps avec eux, tentais de les convaincre que ce n'était pas correct, pas dans nos moeurs. Mais ils obtinrent ce qu'ils voulaient. Ils m'expliquèrent : " Nous devons envoyer en Chine l'argent aux familles des tués."
général Iona Yakir, cité par J.Jacques Marie dans "La guerre civile russe".



"A la fin du mois d'octobre de la même année, je partis à Volchia pour surveiller la bataille entre l'armée de Grégory Sémionov et l'Armée Rouge. A la gare, un Japonais vêtu de l'uniforme cosaque m'adresse la parole sur un ton arrogant. Il était pâle, épuisé.
" - Je cherche un militaire qui s'appelle Sasaki, est-il dans ce train ?
- Je le connais, mais il est en Mandchourie, dans un établissement spécial.
Comme je ne savais pas de qui il s'agissait, je ne voulus pas me découvrir.
Je continuais à parler avec lui. Peu à peu je commençais à comprendre la situation : C'était un soldat de Hatakeyama qui se battait dans l'armée d'Ungern von Sternberg. On appelait ce groupe d'armée Hinomaru-daitai. Il était constitué de rebuts de l'armée, de va-nu-pieds en provenance de Mandchourie. Cet homme avait attrapé le béri-béri et avait été abandonné par son groupe au moment de la débâcle. Il souhaitait maintenant se mettre sous mes ordres.
Ce soir-là nous avons bu du vin ensemble. Il m'a parlé des batailles qu'il avait vues. Quand je lui ai parlé de la mort de Nicolas II de Russie, il a pleuré et s'est mis en colère contre les actes commis par les extrémistes. (...)
Je continue à récupérer les soldats de Hinamoru-daitai. A présent ils sont sept.(...)..et ne font toujours rien. Boire de l'alcool, tirer sur les chiens ou sur n'importe quoi d'autre, c'est tout ce qu'ils savent faire. Après mon départ, deux commirent des vols et furent arrêtés à Qiqihar. Ils sont maintenant emprisonnés à Lushunkou."
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"Autobiographie d'un militaire",1963, Touchi Sasaki (1886-1955)
「ある軍人の自伝」 佐々木 到一


ndltr 1 : Hatakeyama Kotaro, Wakabayashi Kaizo et Kitagawa Kazuo étaient les trois chefs militaires du Hinamoru-daitai. C'est Hatakeyama qui s'est chargé du recrutement de ces 88 soldats, en trois jours, à Houten (Mandchourie) après une série de tests et d'entrainements en forêt. Il s'agissait de militaires, de policiers, de journalistes, de civils sans emploi. Nombre d'entre eux étaient originaires de Kyushu. La plupart sont morts au combat. Les survivants ont été rapatriés de Mandchourie par l'ambassade japonaise.
ndltr 2 : L'auteur, Touichi Sasaki était un général de l'armée impériale. C'est notamment lui qui s'occupa du transfert de Sémionov, traqué par les Chinois, hors de Mandchourie en 1922. Il est surtout connu pour sa participation au massacre de Nankin en 1937. A la fin de la 2-ème guerre mondiale il a été fait prisonnier par les Russes en Mandchourie. Il est mort en Sibérie, peu avant la date prévue pour son retour. Il écrivit 5 livres entre 1926 et 1942, qui furent édités après son décès.

sources : シベリア出兵  革命と干渉19171922, et 東亜先覚志士記傳.
©traduction et notes : 澁亙安岐子Juwata Akiko



" Mon cher ami, je me suis permis de te désigner comme témoin. J'espère que tu me pardonneras le dérangement que je te cause. C'est mardi prochain à neuf heures. Bien cordialement, Lavilette. Bruxelles, 13-03-23."
Trouver à son petit-déjeuner un beau jour de 1923 une carte postale au bas de laquelle on lit la signature d'un gaillard qu'on n'a plus revu depuis 1918 et la Mandchourie, et apprendre qu'on est choisi comme témoin par ce revenant sans savoir toutefois si c'est pour se marier ou pour se battre en duel qu'il a besoin qu'on l'assiste, c'est une assez piquante surprise ; et, le matin où m'arriva cette carte énigmatique, il me fallut la reprendre et la relire plusieurs fois avant d'avoir pénétré le sens de ces trois phrases pourtant bien simples, trop simples. Que me voulez au juste Lavilette, ex-caporal de carabiniers, devenu chauffeur d'automobile en tant de guerre comme il était devenu footballer à la caserne, par un sûr instinct de la carotte à tirer, et qui, lors du passage à Kharbine de ce qui restait du corps des autos blindées belges, avait faussé compagnie avec désinvolture pour entrer comme officier dans l'armée de Sémionov ? En tout cas, c'est bien de lui que me venait cette demande si tranquillement importune ; je reconnaissais bien là son franc sans-gêne sympathique. Ce coureur de cotillons allait-il se marier ? Mais non, ce n'est guère l'usage de se marier à neuf heures. Allait-il se battre ? Mais nous n'étions que jeudi, et l'on ne fixe pas de pareils rendez-vous cinq jours à l'avance. Et puis, qu'il fallut le seconder sur le terrain ou à la sacrisite, comment Lavilette avait-il eu l'idée de faire appel à moi, moi qu'il ne connaissait que pour m'avoir initié à l'art subtil de s'introduire la nuit dans les poulailliers galiciens, et que pour avoir de temps en temps fait le gros dos avec moi sous la neige des nuits de garde sous les rares obus de l'artillerie autrichienne ? Comment d'ailleurs Lavilette était-il à Bruxelles, alors que la plus élémentaire prudence lui commandait de ne pas remettre le pied en Belgique, avant que sa désertion ne fût prescrite ? A cette idée, la lumière se fit dans mon cerveau, et je m'attablai gaiement devant un café au lait qui refroidissait. Parbleu ! Lavilette ne se mariait ni ne se battait en duel. Il était poursuivi comme déserteur, et c'est devant le conseil de guerre qu'il m'appelait en témoignage.
La perspective d'aller dire à trois graves officiers tout le bien que je pensais de Lavilette me réjouit beaucoup ; j'étais bien sûr qu'avec lui l'audience serai d'une délicate fantaisie. Et puis je n'étais pas fâché de le revoir et d'avoir par lui quelques renseignement sur tous ceux qui nous avaient quittées là-bas. Il y avait eu des déserteurs assez peu intéressants, comme cet ancien sous-officier de la Légion qui était passé, à Kiev, dans les rangs de l'armée rouge, où sur le champ il avait été prômu capitaine, ou comme ce boxer tuberculeux qui était resté aux Etats-Unis où il avait contracté quelques beaux engagements. Mais, parmi les autres, que de cas passionants ! Qu'était devenu Daubrec, Maréchal des Logis de vingt ans, pâle et doux comme une fille ? C'était un des rares de chez nous qui eût le sentiment de la discipline, il ne manquait pas un appel ; quand nous cantonnions à Peterhof, on ne le voyait jamais creuser la neige pour passer sous la palissade qui entourait la caserne et gagner Pétrograd en fraude par le train de trois heures trente. Il se destinait à la carrière des armes et regrettait de n'être pas resté au front belge où il serait bientôt devenu sous-lieutenant. Un jour, à Khailar, aux confins de la Mongolie, pendant un arrêt du train qui nous emmène vers Vladivostok, il dîne au buffet de la gare avec deux ou trois officiers de la cavalerie blanche, gais compagnons et très grands seigneurs, qui l'invitent à une chasse au tigre dans les monts Khingan. Adieu l'école militaire et l'épaulette. Daubrec s'en va chasser le tigre.
Et Kiemzikovsky ? Kiemzikovsky s'appelait ainsi et ne savait pas pourquoi, étant né de père et de mère wallons dans un faubourg de Liège dont il avait l'accent traînard. Quand il fallut des hommes pour la Russie, comme on commençait alors à parler d'utilisation des compétences, tous ses chefs furent d'accord pour le désigner.(Il fut d'ailleurs à peu près le seul d'entre nous qui ne parvint jamais à comprendre un mot de russe ; il avait pour cette langue une inaptitude congénitale et n'avait jamais su prononcer convenablement son propre nom). Or, à Kharbine, ayant rencontré dans un café-concert une vieille chanteuse française à cheveux jaunes, Kiemzikovsky décida de déserter. Mais, comme il était prudent, il imagina une petite comédie. Un mois auparavant, quand notre convoi traversait les hauts plateaux de l'Oural, un de nos cuistots qui était descendu à un arrêt en pleine campagne pour se dégourdir les jambes, n'était pas parvenu à rejoindre son wagon quand le train s'ébranla. Il y avait près de quarante degrés sous zéro, personne ne s'avisait de se pencher aux portières ; le malheureux courait derrière le train, trébuchant dans la neige qui lui venait aux genoux et entravait ses pas. Il parvint, à force d'énergie épouvantée, à atteindre le dernier wagon et à se cramponner au marche-pied. On avait beaucoup commenté, dans les compartiments, le sort qui aurait été le sien s'il était resté seul dans ce désert de neige, à cent verstes de la gare la plus proche, sur cette voie où il ne passait un train que les deux ou trois semaines. C'est de cet incident que Kiemzikovsky voulut tirer parti. Le jour où le corps belge quitta Kharbine, il se tint prudemment dans un coin de la gare avec sa chanteuse jusqu'au moment où le train se fut éloigné de cent ou deux cent mètres. Alors il sortit de sa cachette et feignit de s'élancer à notre poursuite, comptant que ses efforts patriotiques pour rejoindre son unité seraient fidèlement enregistrés et éventuellement rapportés par quelques témoins,- ne fût-ce que par la représentante de la vieille chanson française. Mais Kharbine n'est pas l'Oural : tout le coprs était aux portières pour faire des signaux d'adieux aux nombreux officiers de Sémionov et à la centaine d'éphémères petites amis qui encombraient les quais. Dès qu'il aperçut Kiemzikovsky courant avec des mimiques désespérées, une grande clameur partit de tous les wagons, le mécanicien se pencha par la lucarne de sa locomotive, aperçut le retardataire et retentit l'allure. L'aspirant déserteur s'en rendit compte et modéra la sienne, feignant de s'essoufler et d'être à bout de forces. Le train ralentit encore jusqu'à n'aller plus qu'au pas ; Kiemzikovsky faisait de comiques sauts de hauteur et courait presque sur place. Enfin il se prit le flanc à deux mains, tiraillé d'un point de côté aussi opportun qu'invraisemblable, et se laissa choir sur le ballast avec un grand geste d'impuissance. Mais l'idée lui vint sans doute tout-à-coup que le train pourrait faire marche-arrière et venir le rechercher, car nous le vîmes se relever brusquement et repartir au grand trot vers la gare.
Cependant, à me remémorer les aventures de Lavilette, de Daubrec et de Kiemzikovsky, je m'étais mis en retard. Il me fallait ce jour-là aller plaider devant un juge de paix de banlieue quelque morne chicane. Et, en cherchant mon dossier, je me disais que la loi est triste et qu'il y a une grandeur à en sortir, et je pensais à Daubrec qui depuis cinq ans chassait le tigre dans les monts Khingan.
A suivre... Marcel Thiry (1897-1977), "Avec Sémionov".

Ungern, toujours un peu plus loin

"Corto Maltese en Sibérie", Hugo Pratt, 1978

Quittant Ourga, la Division de Cavalerie Asiatique pénètre en Russie soviétique par plusieurs endroits et engage le combat contre l'Armée Rouge. C'est une défaite complète. D'abord en raison de la disproportion des forces, ensuite à cause du manque d'enthousiasme des populations. Les villageois sibériens, malgré leur tempérament conservateur de paysans, ne souhaitent pas le retour de la monarchie.
Constatant son échec, le Baron Ungern se lance alors dans un dernier périple crépusculaire, relaté ci-dessous, avec en point de mire le Tibet et le pays de Shambala d'où les guerriers bouddhistes initiés au redoutable tantra du Kalachakra devront selon les prophéties lancer la reconquête du monde submergé par les forces du Mal.
Mais pour s'y rendre il faut d'abord traverser le désert de Gobi, alors que les soldats veulent fuir plus à l'est et se joindre aux dernières troupes blanches de l'extrème-orient russe.
Un complot s'organise, et le Baron est abandonné à la merci des Rouges, pieds et poings liés mais vivant, les Mongols n'osant pas porter la main sur le Dieu réincarné de la guerre.



Une petite perle, in english, qui nous vient
de l'Hoover Institution Archives (réf.CSUZHH697-A).


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Ungern, la prise d'Ourga, 1921













"Le Baron Ungern se comportait en ami avec les Mongols. Il prétendait avancer sur Ourga à la demande de Bogdo, afin de libérer celui-ci des Chinois et de le rétablir dans ses fonctions de Khan. (...) Les Mongols arrivant à Ourga racontaient qu'on lui accordait de l'aide partout sur son chemin, que ce soit pour le recrutement des jeunes gens, pour la réquisition des chevaux ou pour le ravitaillement. Le Baron, quand il prenait ce dont il avait besoin, payait toujours en pièces d'or et réprimait les soldats qui usaient de violences ou offensaient les villageois. La population était très bien disposée à son égard et un taidji (gentilhomme de vieille souche) lui apporta une aide conséquente. Beaucoup de Mongols se ralliaient de leur propre gré à ses troupes et tous ensembles affluaient vers Ourga. (...)
Les 15 000 hommes de la garnison étaient trés agités. D'une part ils manquaient de vivres, souffraient du froid et du vent auquels les Chinois du sud ne sont pas accoutumés, et d'autre part les perspectives de butin étaient faibles, et les armées chinoises gardent toujours à l'esprit ce bénéfice immédiat car comme le dit l'adage : "Pour faire un clou, on prend une tige fine, et pour faire un soldat, un homme maigre". Et donc, quand ils furent convaincus qu'il n'y aurait aucun profit à retirer des nomades mongols, le moral chutât et le mécontentement grandit. En plus de ces problèmes, les mongols infiltrés colportaient toutes sortes de rumeurs à propos de la protection magique contre les balles et les blessures dont bénéficierait le Baron, de l'aide conférée par les incantations des lamas, et encore toutes sortes de sornettes à caractère fantastique.
A l'automne 1920, le Baron Ungern et sa division stationnaient sur le versant nord-est du massif montagneux de Bogdo-Oula. (...) Dans la nuit sombre, au sommet oriental de la chaîne de montagnes, les cosaques de la division allumaient de gigantesques feux, et régulièrement, depuis le sommet de cette montagne sacrée, envoyaient de leurs obusiers des projectiles jusqu'au village diplomatique. A cette hauteur, les immenses brasiers se découpaient sur un ciel sombre, et leur flamboiement écarlate, tels un sinistre présage venant de la montagne enneigée, perturbait les soldats chinois déjà angoissés, toujours prêts à voir partout et dans toute chose des démons et des esprits malins.
Au début de l'hiver se produisit un évènement extraordinaire qui mit toute la ville en émoi, que ce soient les Mongols, les Chinois, ou les Russes : Le bruit se répandit que le Bogdo-Khan, le "Premier Mongol", Djebszoundamba-Khoutoukhta en personne, avait été arrêté. Au nom de quoi et pour quels motifs ? personne ne pouvait le dire, mais le Bogdo avec sa suite avaient été transférés du palais vers une demeure vide du quartier de la Polovinka. (...) Personne ne comprenait le but de cette arrestation. On supputait que les généraux voulaient affirmer leur pouvoir, leur importance : le Dieu Vivant en personne avait été appréhendé et rien ne se produisait, ils avaient la situation en main et tout devait passer par eux. La garnison pouvait d'elle-même constater que la divinité cédait le pas devant la force armée, et qu'il n'y avait donc rien à redouter des prières des lamas, ni des plaintes et gémissements qui sortaient de leurs longs tubes bouddhistes...Difficile de savoir si ce motif était le bon, mais beaucoup expliquaient la chose ainsi. Pourtant, passés 50 jours, le Bogdo fut reconduit dans son palais et la garde fut renforcée.
Malgré cela, la garnison ne fut pas rassurée, bien au contraire, et chez les soldats grandit la peur que l'arrestation du Saint, fusse-t-il un simple lama, ne restât pas impunie, et, que d'une manière ou d'une autre, il y aurait châtiment. Il ne restait plus qu'à en attendre les présages qui, à coup sûr, ne tarderaient pas. Et..c'est ce qu'il se produit. (...) En milieu de journée, dans la ville grouillante de soldats en état de guerre, de siège même, son Excellence le Baron Ungern en personne fit son entrée. Il se rendit à la propriété où résidait le dignitaire du régime Tchen-Y, puis, sans se presser, repartit vers son campement.
Et partout on racontait que, par une claire journée d'hiver, au petit trôt sur sa jument, habillé à la mongole comme à son habitude, en tunique rouge-cerise, son bambou à la main et coiffé de son bonnet blanc, le Baron Ungern s'avança tranquillement dans la rue principale du quartier Polovinka jusqu'à la maison du dignitaire Tchen-Y. Il pénétra dans la cour et, ne se pressant pas de mettre pied à terre, fit un signe de la main au factionnaire pour qu'il tienne les rênes de sa monture. Lui-même, tranquillement, fit le tour de la demeure avant de revenir vers sa jument, du regard inspecta méticuleusement les environs, ressera la sangle de sa selle, puis sans se presser quitta l'endroit (...) Sur le chemin du retour, passant à côté de la prison, il remarqua le garde qui dormait contre le portail. Une telle entorse à la discipline indigna le Baron, et, sautant à terre, il gratifia la sentinelle endormie de plusieurs coups de bambou.(...) Le soldat terrorisé sursauta dans son sommeil, alors Ungern (il parlait un peu chinois) lui expliqua qu'on ne doit pas dormir à son poste et que lui, le Baron Ungern, l'avait en personne sanctionné pour ce manquement. (...) Puis il reprit sa route. La sentinelle apeurée sonna l'alarme, mais il était déjà loin..
Les prisonniers mongols observèrent toute la scène à travers les palissades de la prison. Bien entendu, le passage à Ourga du Baron, et dans ces conditions de surveillance renforcée, ne pouvait pas rester secret et fit sensation parmi la troupe, ne favorisant pas, bien entendu, le calme des superstitieux chinois.
Mais encore plus démoralisant pour la garnison fut l'enlèvement du Bogdo-Khan ,en plein jour et sous les yeux de ses 350 gardiens.(...)
Enlever le Saint paraissait impossible en raison de la topographie des lieux,(...) Mais pour le Baron c'était tout-à-fait réalisable. Il n'avait pas en vain passé 4 mois avec sa division au sud-est d'Ourga à observer la ville (...) Les volontaires mongols étaient à sa disposition car il était trés populaire. Grâce à eux, il était au courant de ce qui se passait à Ourga et de l'état d'esprit de la garnison. Pour Ungern il était indispensable de kidnapper Bogdo afin que celui-ci ne serve pas d'otage au pouvoir chinois. Car si le Bogdo était pris en otage, alors les Chinois pourraient obtenir beaucoup des nomades, prêts à toutes les concessions pour leur gourou.(...) Parmi les Mongols il fallait trouver la personne capable de conduire directement l'opération. Un tel type fut désigné, il s'agissait d'un Bouriate nommé Toubanov, connu pour sa témérité, tête brulée, prêt à tout pourvu qu'il puisse en retirer un avantage, (...) réputé comme "artiste" dans plusieurs domaines "délicats".(...) Pour comparses, il se choisit les "Touboutov" d'Ourga, c'est-à-dire les Tibétains. Ceux-ci vivaient totalement isolés dans leur propre quartier non loin de Zakhadyra, faisant le commerce de diverses productions tibétaines , mais avant tout, ils pratiquaient l'usure. Toubanov choisit les plus endurcis, les plus respectés, ceux habitués dès l'enfance à se déplacer à travers la montagne. Mais, plus que cela, son choix se porta sur les plus fanatiques des lamas, ceux qui en raison de leur foi étaient prêts à se jeter les yeux fermés dans l'aventure pour réaliser des exploits. Le choix fut excellent, et personne mis à part les Tibétains ne pouvaient mieux accomplir cette tache, de plus ils haissaient les Chinois, oppresseurs du Tibet et du Dalai-lama.(...)
Il revint au Baron de régler les problèmes techniques et notamment la question du consentement, si ce n'est du Bogdo lui-même, du moins de son entourage dont dépendait l'enlèvement, car le Bogdo jouant un rôle passif, le pouvoir était aux mains d'une camarilla avec qui il était difficile de négocier. Le Baron s'en tira fort bien. Quand et comment il s'arrangea avec eux ? on ne le sût pas, mais ils donnèrent leur accord. (...)
Raconter par le détail l'enlèvement de Bogdo serait long et fastidieux, beaucoup d'éléments ont depuis acquis un caractère légendaire, mais sur le moment ils suscitèrent l'intérêt et l'admiration. A présent tous ces détails sont oubliés, effacés par le temps, mais une image se grava profondément dans la mémoire collective : on affirmait parmi les habitants et la garnison chinoise que des forces surnaturelles étaient intervenues pour rendre possible l'enlèvement de Bogdo. "Voyez-vous ça", disaient certains, et d'autres leur répondaient : " A la vue de tous, dans le palais du Bogdo que l'on peut voir de tous les points de la ville comme dans le creux de la main, au grand jour, survinrent les Tibétains, et ils désarmèrent, frappèrent quand il le fallait la garde à l'extérieur et dans le bâtiment, enlevèrent Bogdo et le portèrent dans leurs bras hors du palais avant de le faire monter, se le passant de mains en mains sur la pente raide, jusqu'en haut de cette montagne inaccessible, alors qu'une partie de la garde restait figée et que l'autre s'enfuyait. Alors dites-moi, n'est-ce pas un miracle ?! Non, ici, une force spéciale s'en est mêlée.." (...)
On pouvait entendre des récits de ce genre parmi les Russes, les Chinois ou les Mongols, et chez tous ils suscitaient un étonnement mêlé de crainte. Concrètement, cela se passa ainsi : le moment de l'irruption des ravisseurs dans le palais était fixée précisément, et quand les derniers en costumes de lamas atteignèrent le palais, le signal fut donné, alors les hommes de Bogdo, armés en cachette, se jetèrent sur la garde, désarmèrent les soldats et les ligotèrent. Les hommes de Toubanov, se pressant dans le palais, se saisirent de Bogdo déjà habillé de vêtements chauds et prêt pour la fuite, et ils le hissèrent le long d'un chemin secret sur la montagne Bogdo-Ouda jusqu'à l'endroit où les attendait la relève. Celle-ci se saisit du Bogdo à son tour et l'emporta jusqu'à la relève suivante, et ainsi de suite jusqu'à ce que les différentes équipes ne l'eurent déposé au monastère Mandchou, en sécurité parmi les cosaques du Baron."
D.P. Pershin-Д.П. Першин, "Notes sur les troubles en Mongolie Intérieure" 1933.



"Nous étions prêts à nous battre car il y avait à Ourga tout ce qu'il nous manquait : de la nourriture, des vêtements, des munitions et des endroits chauds et secs où dormir.De plus, nous voulions nous venger des humiliations et souffrances subies à l'automne dernier.(...) Nous ruant sur notre cible, nous nous retrouvâmes derrière l'ennemi sur le Haut-Maymatchen, dans les environs d'Ourga. Les Chinois durent se replier dans leurs tranchées du Bas-Maymatchen. Entretemps, Khobotov attaquait dans son secteur et prenait deux unités d'artillerie avec 200 obusiers. Il retourna immédiatement les batteries contre les Chinois. Notre groupe et celui de Khobotov se battirent avec bravoure et détournèrent l'attention de Toubanov dont la mission ce jour-là était primordiale. En effet, selon les oracles mongols et les devins, le Bouddha Vivant devait être libéré le premier jour des combats, c'est-à-dire le 1-er février (...).
En fin de matinée, les ennemis acculés durent abandonner leurs positions et se retirèrent dans les solides casernes de Boulounsky, dans les bâtiments de l'ambassade russe et dans la forteresse de la compagnie aurifère. Un groupe d'à peu près 2000 chinois désertit et s'enfuit au nord espérant rejoindre l'Armée Rouge (...). A présent la victoire était totale ; mais les oracles disaient que le vaincu devait être soumis le 4 février. Comme nous n'étions que le 1-er du mois, il nous fallut rester 2 jours inactifs. Tels étaient les ordres du Baron. Le reste de la journée nous consolidâmes nos positions, rassemblâmes et chargîmes les blessés avant leur transport jusqu'au camp. Celui-ci se trouvant à 35 miles (...), beaucoup moururent de froid avant d'avoir atteint l'hôpital de campagne.
La nuit, un des nôtres fit partir une fusée. Les Chinois ouvrirent de suite un feu nourri et désordonné. Les mitrailleuses crépitaient furieusement. La tentation était trop grande, et, contre les consignes, nous nous jetions dans la bataille. Le Baron également fut pris d'une folle impulsion et nous le vîmes chevaucher au galop en avant de nos lignes. (...). A ce moment, alors que nous attaquions à la baionnette les Chinois, notre cavalerie les prit à revers. Le feu se déclara dans Maymatchen, le quartier chinois de la ville. De nombreux brasiers illuminaient l'endroit, allumés par nos partisans dans la place qui n'espéraient même plus survivre à l'épreuve. A présent nous atteignions les murs derrière lesquels se réfugiaient les adversaires. Les grenades à main détruisirent les portails, les fenêtres et les portes, et le massacre commença. On peut juger de la cruauté des combats par le faible nombre, 800, de soldats chinois qui survécurent.
Submergés par la haine et par le désir de vengeance, les vainqueurs commencèrent le pillage.(...)
Des groupes de cavaliers ivres tiraient et tuaient selon leur humeur, forçaient les portes des maisons, jetaient les biens dans la rue, s'habillaient de riches habits de soie trouvés dans les magasins. Devant la banque chinoise s'était formée une file de Mongols. Chacun attendait son tour pour plonger ses mains couvertes de sang dans les coffres et prendre ce que le hasard lui accorderait. Certains chanceux en retiraient des pièces d'or et des lingôts, d'autres repartaient avec de l'argent, d'autres encore n'en retiraient que des documents et des valeurs de papier dont ils se débarassaient immédiatement. C'était pour eux un grand divertissement, une sorte de loterie : personne ne savait ce qu'il allait tirer, mais chacun avait le droit de tenter sa chance une fois, une seule. (...) Une scène digne d'un artiste : des sauvages, les mains, les habits et les bottes ensanglantés, attendant leur tour devant les coffres de la banque. La lueur des brasiers leur peignait des visages de bronze. Aucun ne prêtait attention à ses propres blessures.
(...), ..quand on ouvrit les portes de la prison aux prisonniers russes, affamés, ils se jetèrent comme des bêtes sur la nourriture et la viande crue. Fous de joie, ils embrassaient tous les cavaliers qui passaient. Mais quand un des leurs osa demander un cheval pour s'enfuir en cas de défaite, on l'abattit sur place. (...) Des personnes cherchèrent refuge chez Guppel, citoyen américain, d'autres chez le prince mongol Togtokho ; mais l'un et l'autres durent livrer leurs amis pour sauver leur vie. La foule ivre trouva un nouveau jeu : tuer les gens dans la rue d'un seul coup de billot de bois, en pleine face. Il y eut même un cosaque qui tua plusieurs des siens en frappant de tous côtés jusqu'à ce qu'on l'abatte.(...)
Beaucoup d'épouses se proposaient avec leurs filles pour sauver la vie de leurs maris ou de leurs frères, mais au final elles étaient souvent flouées.
Ce fut 3 jours et 3 nuits de cauchemar sanglant : le Baron tint sa promesse. Puis, enfin, au matin du 4-ème jour, il ordonna que soient punis de pendaison tous ceux qui voleraient ou useraient de violences à l'égard des habitants, et que des coups de bambou soient infligés en cas d'ivrognerie : 100 pour les officiers, 50 pour le soldat, 25 pour le civil. Et effectivement, tous ceux qui n'eurent pas connaissance du nouveau règlement et continuèrent leurs forfaits furent pendus devant les magasins qu'ils venaient de piller. Le colonel Sipailov, nouveau commandant d'Ourga, envoya ses hommes aux trousses des criminels. Le colonel Laurents, qui commandait un escadron, fut inculpé pour comportement immoral et condamné à être fusillé. Le lieutenant Makéev dut exécuter la sentence."
D.D. Aleschin-Д.Д. Алешин, "L'odyssée asiatique", 1941.



"Ourga se prépara solennellement au couronnement du Bogdo. Cet évènement n'avait pas moins d'importance pour les Mongols que s'il s'était agi du Tsar pour les Russes. Toute la noblesse mongole, arrivant sur leurs attelages des coins les plus reculés du pays, s'acheminait vers la ville qui se remplit d'une foule pittoresque et bigarrée. Le couronnement était fixé pour la fin février. La veille, l'ordre suivant fut donné à la Division de Cavalerie Asiatique : "Levée à 3 heures le matin, en uniforme neuf, armes à la main et avec l'orchestre, quitter Maymatchen pour Ourga et faire la haie depuis le palais de Bogdo jusqu'au grand temple".
Une partie de la Division se positionna sur le côté gauche de la voie, sur le côté droit les régiments mongols et bouriates. Cette attente pénible dura 3 heures et puis, un peu avant 9 heures, on les mit au repos. Les lamas affirmaient que le couronnement ne pouvait avoir lieu à cette heure-là, car les dieux s'y opposaient, et ne pas suivre leur avis constituerait un mauvais présage. Ils tenaient dans la cour des sortes de conciliabules quand des messagers à cheval firent leur apparition. En habits de parade colorés, avec des tubes d'où sortaient des sons abrupts, ils firent savoir que le Bogdo serait bientôt là. Les troupes se figèrent, ainsi qu'une foule de plusieurs milliers de gens. Derrière les messagers s'avançait une pompeuse procession aux couleurs criardes suivie d'un char triangulaire fait d'énormes tronçons de bois. Au centre du char, était planté un mât gigantesque en-haut duquel flottait un immense drapeau mongol, scintillant de tous ses fils d'or. Un ordre sonore retentit : "Division Asiatique, garde-à-vous, alignement à droite, officiers !".
Sur une calêche en or, Bogdo allait à son couronnement. Il était en tenue de parade avec des lunettes noires (l'alcool et la syphilis avaient rendu aveugle le Bogdo,ndlr). (...) Autour de son véhicule doré se pressaient les nobles mongols dans de somptueuses tenues orientales et coiffés de petites toques côniques de couleur ornées de pierres précieuses selon leur rang. La cérémonie religieuse dura 4 heures (...)
Puis un ordre retentit : Ungern approchait. Son allure était inhabituelle. Il portait l'habit des princes mongols, une toque avec une plume, et s'avançait sur une calêche magnifique dont les rênes étaient de couleur jaune, signe de noblesse chez les hauts dignitaires. L'apparence d'Ungern, d'habitude peu soigné, rappelait un perroquet multicolore et provoqua un sourire involontaire parmi les siens. Le Baron lui-même n'était pas à l'aise dans cet accoutrement mais essayait de le cacher.(...) Une demi-heure passa puis le Baron commanda énergiquement :" Garde-à-vous, présentez armes !" La musique joua à nouveau, et le Bogdo, couronné Souverain Suprême de la Mongolie, passa entre les haies de soldats et de milliers de fidèles. Tous les Mongols et Bouriates avaient le genou droit à terre, les Russes étaient au garde-à-vous, et de bruyants "Hourra!" émanaient de toute la place. Au palais commença la fête. Tous les officiers de la Division Asiatique furent élevés aux rangs de dignitaires mongols du 1-er au 6-ème rang. Les célébrations du couronnement durèrent plusieurs jours. Les Mongols triomphaient, ils avaient à présent un empereur."
А.С. Макеев, ancien adjudant de la Division de Cavalerie Asiatique.



Lettre du Baron Ungern à K. Gregorу*
20 mai 1921, №986, ville d'Ourga.
(*messager envoyé à Pékin)

(...) Présentement, il n'y a plus de troupes révolutionnaires chinoises sur le territoire de mongolie, la plupart ont été détruites, d'autres vagabondent dans la région. Le travail s'intensifie pour l'unification de la Mongolie Intérieure et Extérieure et pour le ralliement des nomades de l'est et de l'ouest.(...) Le but de cette union est double. D'abord former un noyau autour duquel pourront se rassembler toutes les tribus de sang mongol, d'autre part la lutte armée et spirituelle contre l'influence dépravante de l'Ouest, obsédé par sa folie révolutionnaire et par les manifestations spirituelles et physiques de sa décadence morale. (...)
L'étape suivante du projet, projet ayant pour devise "L'Asie aux Asiatiques", est la création d'un empire d'Asie Centrale qui rassemblera tous les peuples mongols. J'ai déjà établi des relations avec les Kirguizes, et écrit à Boukey-Khan, ancien membre de la Douma, un patriote très instruit, descendant des khans de l'ordre des Boukeev (de l'Irtych à la Volga) et influent parmi le gouvernement de l'Alach-Ordi. Vous devrez agir de la sorte en ce qui concerne le Tibet, la Chine Orientale, le Turkestan et, avant tout, le Xinjang.(...)
Il est indispensable de mentionner dans vos discussions la survie de la Chine face au péril révolutionnaire, et cela grâce à la dynastie mandchoue auréolée de gloire et qui a beaucoup fait pour les Mongols. Il est aussi primordial d'intéresser les Chinois musulmans, notre lien avec les Kirguizes de même religion les incitera à se joindre aux tractations.(...)
Je lance à présent mon mouvement vers le nord et dans quelques jours j'engagerai le combat contre les bolchéviks. Dès que j'aurai donné une impulsion suffisante à tous les régiments et tous les hommes rêvant d'en découdre avec les communistes, et quand, avec à sa tête des gens loyaux et fidèles l'attaque contre la Russie se sera concrétisée, alors je redirigerai mes forces vers la Mongolie et les régions alliées afin de rétablir intégralement la dynastie des Qing, outil indispensable à la lutte contre la révolution mondiale. (...)

source : "Le baron Ungern dans les documents et les mémoires", sphère Eurasia, Kouzmine 2004.
traduction de Vincent Deyveaux



Le rapport du Japonais Tanaka Giichi, ministre de la Guerre, dévoilait officiellement ces ambitions en 1927 : « Pour conquérir la Chine, nous devons d’abord conquérir le Mandchourie et la Mongolie. Pour conquérir le monde entier, nous devons d’abord conquérir la Chine… » (In order to take over the world, you need to take over China; In order to take over China, you need to take over Manchuria and Mongolia. If we succeed in conquering China, the rest of the Asiatic countries and the South Sea countries will fear us and surrender to us. Then the world will realize that Eastern Asia is ours.). Appelé Memorandum, ce « plan Tanaka » brossait les grandes lignes du projet japonais de conquête du monde, qui fut d’ailleurs suivi jusqu’en 1945, date de l’effondrement du Japon.
wikipédia

Le proces du baron Ungern von Sternberg











tunique du baron Ungern

(quelque part en Russie)



Протокол № 55а постановления Политбюро ЦЕКА РКП от 27.VII.[19]21 года

Опрошены по телефону члены Политбюро : тт. Ленин, Троцкий, Каменев, Зиновьев, Молотов, Сталин <...>
Слушали : 29 августа с.г. 2. О предании суду Унгерна (телеграмма Предсибревкома, предложение т. Ленина)
Постановили : Предложение принять : "Обратить на это дело побольше внимания, добиться проверки солидности обвинения и в случае, если доказанность полнейшая, в чем, по-видимому, нельзя сомневаться, то устроить публичный суд, провести его с максимальной скоростью и расстрелять"<...>
Пп. секретарь Цека В. Молотов
С подлинным верно : Е. Шерлина (подпись)
РГАСПИ, Ф.17, от. 3, д. 195. л. 1.


(...)
Ont été questionnés par téléphone les membres suivants du Bureau Politique :
les camarades Lénine, Trotsky, Kamenev, Zinovev, Molotov, Staline <...>
Rapport : le 29 août (...) au sujet de la présentation devant un tribunal d'Ungern (télégramme du pdt du comité sibérien Smirnov, proposition du camarade Lénine)
Statué : la proposition suivante est acceptée :
" Accorder la plus extrème attention à cette affaire, confirmer la solidité des accusations, et dans le cas où les preuves seraient établies, ce dont on ne peut douter, organiser un procès public, l'instruire le plus vite possible, et fusiller." (...)

Compte-rendu de l'interrogatoire du prisonnier de guerre le Général Baron Ungern, commandant de la Division de Cavalerie Asiatique. 4 septembre 1921Roman Féodorovitch Ungern von Sternberg, agé de 34 ans, est issu d'une famille noble de la province estonienne (fils d'un propriétaire foncier de l'ile de Dago). Durant son enfance il réside à l'étranger ; jeune homme, sortant du corps des Cadets, il s'engage dans la guerre contre le Japon où il obtient le grade de caporal. Il entre ensuite à l'Ecole du Génie Militaire de Pétrograd qu'il quitte après quelques semaines pour l'Ecole des Cadets de Paul I-er, après quoi il intégre en qualité d'officier le 1-er régiment d'Argounst. Pendant la guerre contre les Allemands il est affecté au régiment de Narchinst de la Division de Cavalerie d'Oussourisk. Il obtient la Croix de Saint Georges après les combats en Prusse. En 1917, sous le gouvernement de Kérensky, (...) un tribunal militaire de campagne le condamne à 3 ans d'emprisonnement pour avoir rossé un adjudant, mais la révolution survient et il ne purge pas sa peine. Il quitte alors la région du front pour la Transbaikalie, zone de l'ataman Sémionov qui le charge de former la Division de Cavalerie Etrangère. Là, il bataille avec les Partisans, recevant ponctuellement des instructions de Sémionov. Le noyau de la Division Etrangère était constitué de Kharatchini, de Bouriates et de Chinois. Il obtint le grade de colonel, puis de général. En 1920, il veut aller en Autriche, sa terre natale, mais n'obtient pas le visa. Ungern considère son passage en Mongolie comme le fruit du hasard, du destin. A l'autômne 1920, Sémionov a établi un plan d'attaque de Verkhneoudinsk, et plus loin à l'ouest. Ungern avait pour mission de franchir avec sa division la chaîne de montagnes de Yablonoby et d'attaquer Troitskossavsk. En route il perdit une partie de ses soldats et dût abandonner ses canons. Quittant le secteur d'Akchinsky, Ungern apprend que Sémionov a été chassé de Tchita et il décide alors de ne pas marcher sur Troiskossavsk mais de se diriger vers la Mongolie. A ce moment il disposait de 800 hommes. (...)
Pénétrant dans le pays, Ungern décida de combattre les Chinois qu'il considérait comme des révolutionnaires (...). Son principal objectif est l'unification de tous les peuples mongols sous la direction du Khan de Mandchourie. L'idée fixe d'Ungern est de bâtir un immense état nomade en Asie Centrale, du fleuve Amour à la Mer Caspienne. (...) Le concept de base est que la race jaune doit "réveiller", puis vaincre la race blanche. Dans son esprit il n'y a pas de "péril jaune", mais un "péril blanc" dont la civilisation est un facteur de décomposition pour l'humanité toute entière. Il considère que la race jaune est plus vivace (...) et sa victoire sur la blanche souhaitable, inévitable même. Dans cette optique, Ungern ne considérait pas les Chinois comme ses ennemis et combattit en Mongolie seulement les Chinois révolutionnaires. Pour attirer l'attention des masses jaunes et des nomades d'Asie sur ses plans il envoya des lettres au gouvernement de Pékin, aux princes de Dioubedsky, au Dalai-Lama tibétain et à d'autres. Mais il n'obtint aucune réponse. Sémionov désapprouvait ces plans. (...) Le succès de ses actions contre les Chinois s'explique selon lui par le ralliement des Mongols-Tchakhar et d'autres peuplades de Mongolie de l'est et, d'autre part, par le manque de combativité des régiments chinois. Il place le soldat chinois au-dessus de son officier.(...) Ayant libéré Ourga des Chinois, il laissa toutes libertés aux Mongols pour créer leur état alors que lui-même partit vers le front de Kalgansky (...). Ungern ne se mêla pas des affaires intérieures mongoles et il portait un regard ironique sur le gouvernement mongol. Bien qu'il disposa de tous les moyens nécessaires, il justifie sa non-ingérence par un désinvolte "aucune envie".
Avec le Bogdo Khan ils se rencontrèrent 2-3 fois mais Ungern ne lui fit pas connaître ses plans en vue de l'édification d'un état nomade, le considérant comme un figure subalterne incapable de concevoir un grand dessein. Il compte pour nul le rôle joué par le Bogdo dans la formation de l'état mongol et suppose que les ministres agissaient en son nom et signaient eux-mêmes les directives. Après que fut porté un dernier coup décisif aux Chinois près de Tchoiryn-Soumé, Ungern jugea qu'il pouvait, et même qu'il devait rentrer à Ourga pour préparer la lutte contre la Russie soviétique.(...) A Ourga il met la main sur 200 000 roubles-argent qui le rendirent indépendant et lui permirent de continuer le combat. A ce moment il disposait de 66 sotnia, soit 4 - 5 000 hommes, il ne sait plus exactement, en majorité des Mongols, Tchakhar et autres, et quelques sotnia de Russes. Il justifie les éxécutions parmi la population d'Ourga, et particulièrement les Juifs qu'il juge responsables de la révolution par la nécessité de se débarrasser d'éléments nocifs. Toutes les éxécutions se faisaient avec son accord et étaient organisées par Sipailo. Il éliminaient tous ceux soupçonnés "d'incivilités", ainsi que leurs familles, enfants en bas âge inclus, pour ne pas "laisser la queue", selon ses propres termes.(...
)
En mai (...), laissant 100 hommes sur le front de Kalgansky, après avoir unifié tous les Gardes Blancs mongols il part avec le restant et pénètre en territoire soviétique. Usant de la force, il s'allie les détachements de Casagrandi, Choubine, Toubanov, Kazantsev et Kaigorodov. Il écrivit aussi à Annenkov et Bakine mais ne reçut pas de réponse et en raison des grandes distances ne put les rallier à lui. Pour conférer plus d'impact à sa marche il diffusa l'ordre №15, rédigé par le commandant d'état-major Ivanosky et par le professeur Ossendovsky. Ungern se plaint que ce texte ne fasse pas mention du point principal relatif à l'expansion de la race jaune. D'après lui, il en est question quelque part dans les Saintes Ecritures, mais ils ne purent trouver le passage. La race blanche, unie, montée sur des vaisseaux et des chariots de feu, doit marcher vers la jaune. Il y a une confrontation et la jaune l'emporte. Puis vient Mikhael. Ungern dément avoir à l'esprit Romanov quand il parle de Mikhael, et dit ne pas savoir qui est ce Mikhael des Ecritures. A la question " Qui lui a donné les pleins pouvoirs pour commander à tous ces détachements ?", il répond que le droit est du côté du plus fort et écarte catégoriquement toute intervention, sous quelques formes que ce fut, de Sémionov et des alliés (Occidentaux et Japonais) (...) Il dément également avoir eu des liens avec les Blancs de Russie.(...) Il explique l'échec de son plan par le manque d'informations dont il disposait sur la Russie ainsi que par les fautes des commandant qui n'auraient pas exécuté ses ordres.(...) Après sa capture, il suppose qu'il n'y a aura plus personne pour réaliser ses plans, et qu'en Mongolie ne subsisteront que quelques petits régiments. Il explique ainsi les chiffres 1290 et 1330, mentionnés à la fin de l'ordre №15 : 1290 jours doivent s'écouler entre la date du décret fermant les églises et le jour de la bataille, et 1330 jours jusqu'à la victoire sur les Bolchéviks.(...) Il ne sait rien des tentatives du Japon de s'emparer de la Mongolie (...) Il émet l'hypothèse qu'il y aura une guerre, inévitable, entre le Japon et l'amérique au cours de laquelle l'Angleterre se rangera aux côtés du Japon.(...) Il ne peut concevoir un gouvernement populaire en Russie et est fermement convaincu que le pouvoir ira inévitablement aux Juifs, les Slaves étant incapables d'édifier un état et les seuls gens capables en Russie sont les Juifs. Selon lui le peuple russe dégénère, physiquement et moralement, et cela conduira à sa disparition. A la question : "Quel regard portez-vous sur le communisme ?" il répond : " A sa façon c'est une religion; beaucoup de religion se passent de Dieu, et en particulier les religions orientales qui, si vous les connaissez, édictent des préceptes de vie et définissent la forme que doit prendre l'état. Ce que Lénine a fondé, c'est une religion. Je ne peux croire que les gens se battent pour leur patrie martyrisée. Non, on se bat toujours au nom de la foi."



Interrogatoire de Roman F. Ungern du 7 septembre 1921 [ville de Novonikolaevske (Novossibirsk ndlr)]
sont présents : les camarades Tchoutskaev, Davidof, Afanassiev, Mouline, Bejanov, Belejev et Pavlounovsky.
(...)
Afanassiev : - Vous voulez dire que l'attaque de la Russie s'imposa d'elle-même ?
Bejanov : - Lors de l'attaque de Troiskossavsk, vos détachements et ceux de Rézoukhine agissaient-ils séparément ?
Ungern : - Non, mais j'avais de très mauvais chevaux et je suis parti au sud. Les plans étaient synchronisés mais les actions furent retardées.
Bejanov : - Et quand vous avez attaqué Troitskossavk, saviez-vous que des troupes de Rézoukhine s'en allaient ?
Ungern : - Non, je n'avais pas de renseignements. Je n'allais pas sur Troitskossavsk mais sur Kiarta.
Davidof : - Comment expliquez-vous que le contact fut perdu ?
Ungern : - En raison des distance immenses, les émissaires ne peuvent arriver à temps.
Bejanov : - Vous voulez dire que vous n'utilisiez que des courriers à cheval ?
Ungern : - Oui.
Bejanov : - Après l'attaque de Troitskossavsk vous étiez au courant que les Rouges se dirigeaient vers Ourga. Comment le saviez-vous ?
Ungern : - Quand on est contrarié, on agit. (...)
Afanassiev : - Sur quoi se fondait une telle certitude ? Quand vous occupiez Ourga cela ne vous inquiétait pas, mais ensuite vous dites nous allons attaquer au plus vite ? Vous trouvez que nos troupes sont peu combattives mais affirmez que quand quelqu'un est contrarié il passe à l'action... D'où la question : Pourquoi abandonnez-vous Ourga malgré sa forte valeur symbolique.
Ungern : - Certes, mais je ne me sentais pas ferme sur mes positions. De plus, Ourga avait perdu de son prestige politique. Si nous avions eu de grands succès en Russie soviétique, alors le pouvoir dans la ville se serait consolidé de lui-même. Mais là, je sentais qu'ils (les Mongols ndlr) allaient passer dans l'autre camp.
Bejanov : - Qu'est-ce-à-dire dans l'autre camp ?
Ungern : - Dans le camp soviétique.
Davidof : - Et comment expliquer cette perte d'autorité à Ourga ?
Ungern : - Les gens veulent manger, avant tout.( ...)
Bejanov : - Quand vous êtes concentré dans la région de Baroun-Dzassaka et apprenez qu'Ourga est tombée, vous ne songez pas à y retourner ?
Ungern : - Non, je savais par avance qu'ils allaient passer à l'ennemi. C'était beaucoup plus avantageux pour eux...Tous les plans étaient par-terre.(...)
Davidof : - Disposiez-vous d'une radio ?
Ungern : - Oui.
Davidof : - Elle émettait ou c'était seulement un récepteur ?
Ungern : - Les deux. (...)
Davidof : - Vous avez essayé d'émettre ?
Ungern : - J'aurais aimé, mais je ne l'ai pas fait.
Davidof : - Pourquoi ?
Ungern : - Parce que les conséquences sont désastreuses...Pas spécialement désastreuses en fait, mais nombreuses, tout le monde se met à commander.
Davidof : - Pourquoi n'avez-vous pas tenté de communiquer avec Tchita, ou Irkoutsk ?
Ungern : - Si je l'avais fait, les Mongols se seraient mis à discuter avec les Chinois, alors je l'ai cachée.
Davidof : - A qui appartenez-t-elle ?
Ungern : - La question ne se posait pas. Je la gardais.(...)
Afanassiev : - Vous aviez dans vos rangs des Russes, des Mongols, des Bouriates. Qu'est-ce-qui les faisait tenir tous ensembles ?
Ungern : - La discipline.
Afanassiev : - Vous avez déclaré qu'étaient représentées environ 16 "nationalités"; parmi eux des groupes aux caractéristiques très différentes dont seulement un petit noyau de Russes qui peut-être étaient motivés par une idée , mais qu'est-ce qui stimulait les autres ?
Ungern : - Leur psychologie n'est pas du tout la même que celle des blancs. Il place très haut la loyauté, la guerre est une histoire d'honneur et ils aiment le combat. Seulement de nos jours, ces 30 dernières années, on a imaginé pouvoir se battre au nom d'une idée. Obéir, c'est tout, et sans discussion.
Belejev : - On a l'impression que vous disposiez d'un encadrement. Pour les mesures punitives il y avait Sipailo. Rézoukhin était là aussi, et après il y a une masse où l'on se débauche, et encore les Mongols, et ces Japonais à la peau sombre... Y-avait-il un noyau de personnes réunies par leur passé, ou bien par le fait qu'ils ne pouvaient plus sans risques se rendre sur le territoire soviétique ?
Ungern : - Les choses se passaient ainsi : Je ne les différenciais pas de cette manière. Un type se présentait, alors on l'engageait et il pouvait monter en grade etc...Mais ceci ne fonctionne qu'avec les Russes; de tous les peuples le russe est le plus anti-militariste, et on ne peut le forcer à se battre que dans des situations sans issue, quand il lui faut bouffer.(...)
Belejev : - Selon vos intentions et conformément à votre idéologie, sans que celle-ci n'est jamais été, peut-être, clairement formulée, il était nécessaire de conquérir toute la Mongolie et même, cela parait évident, un territoire dans les limites de l'empire de Gengis Khan. Kaigorodov, Kazantsev se sont ralliés à vous; avec Bakitcha cela ne s'est pas fait. Que vont-il faire à présent, sur quoi peuvent-ils compter ?
Ungern : - Le sort en décidera. Les ordres sont des bouts de papier.
Belejev : - Vous ne croyez pas que le tour pris par votre destin va influer sur le leur ?
Ungern : - Moralement, oui.
Mouline : - Quel regard portiez-vous sur l'Armée Rouge avant de la connaitre ?
Ungern : - Je la voyais pire que cela.
Mouline : - Et d'après vous, quelles sont les raisons de l'échec de l'attaque de Troitskossavsk ?
Ungern : - D'abord, je ne voulais pas attaquer Troitskossavsk.
Belejev : - Quelles indications fournissent les soldats de l'Armée Rouge ?
Ungern : - Au début aucunes, mais une fois qu'ils sont au milieu des leurs, ils se laissent aller.
Belejev : - Quel regard portez-vous sur les partisans de Sémionov ? (...)
Ungern : - Sémionov a entrepris quelque chose d'authentique et il avait très bien débuté, mais après, tout un groupe de bons-à-rien s'est infiltré, des espèces de lâches se sont mis à l'entourer et à lui brouiller l'esprit. Parmi eux impossible de trouver un type correct.

" Le procès est fixé à 12 heures le 15 septembre (1921) dans le parc Sosnovka. Longtemps avant l'ouverture on se presse dans le parc. Le théâtre où doit se dérouler le procès est rempli. Une majorité d'hommes. Avant tout des ouvriers et des gardes rouges. Beaucoup d'agitation.(...)

début du procès :
Le tribunal révolutionnaire entre, tous se lèvent. Le président Oparin déclare la séance ouverte. Entre l'accusé. Ungern porte une tunique mongole jaune avec des épaulettes d'officier. Il est de grande taille, avec une barbe rousse et de grandes moustaches de cosaque. Il semble fatigué mais se tient bien droit. Il répond aux questions avec sincèrité, parle doucement et brièvement.

Interrogatoire d'Ungern :
Le président du tribunal pose les questions :
- A quel parti appartenez-vous ?
- A aucun.
- Quel était votre rang avant-guerre ?
- Adjudant-chef.
- Quel grade avez-vous obtenu de Sémionov ?
- Général.
- Citoyen Ungern, vous reconnaissez-vous coupable des chefs d'accusation ?
- Oui, à l'exception d'un seul : celui de collaboration avec les Japonais.
Le procureur général mène ensuite les débats :
Procureur : - Accusé, pourriez-vous nous en dire plus sur vos origines et sur la lignée des barons Ungern von Sternberg, allemands et baltes.
Ungern : - Je ne sais rien de tout cela.
Procureur : - N'y-a-t-il pas eu dans votre famille des personnages célèbres, en Estonie et sur la Baltique ?
Ungern : - En Estonie il y en eût.
Procureur : - A quand faites-vous remonter votre généalogie ?
Ungern : - A 1000 ans.
Procureur : - Comment vos aieuls se sont-ils illustrés au service de la Russie ?
Ungern : - 72 morts au combat !
Procureur : - Quand avez-vous servi chez Wrangel ?
Ungern : - Dans le premier régiment de Nertchinsk.
Procureur : - Savez-vous que dans certains documents il est écrit que vous souffrez du vice d'alcoolisme ? Avez-vous été condamné pour ivrognerie ?
Ungern : - Non.
Procureur : - Et pour quelles raisons vous a-t-on alors condamné ?
Ungern : - J'avais rossé l'adjudant-chef.
Procureur : - Pour quels motifs ?
Ungern : - Il ne s'était pas occupé du logement.
Procureur : - Vous avez souvent battu les gens ?
Ungern : - Rarement, mais cela est arrivé.
Procureur : - Pourquoi l'avez-vous battu, pas seulement à cause du logement ?
Ungern : - Je ne sais plus, il faisait nuit.
Nous apprenons ensuite qu'Ungern fut envoyé en 1917 à Vladivostok, puis à nouveau se rendit sur le front avec un régiment du Caucase, et qu'en octobre 1917 il se trouve à nouveau dans la région de Transbaikalie où Sémionov organise à ce moment ses détachements de Bouriates.(la suite demain)
(...)

Interrogatoire d'Ungern (suite)
Au moment de la formation du pouvoir soviétique Ungern se trouvait à Tchita, commençant dès le mois de décembre à mettre sur pieds des régiments pour lutter contre le pouvoir révolutionnaire et en faveur de la monarchie.
Procureur :- Y-a-t-il des points communs et des divergences entre votre démarche et celle de Sémionov ?
Ungern : - Oui. J'ai constitué une troupe pour défendre la monarchie, et Sémionov pour défendre l'Assemblée Constituante (de janv.18 ndlr). J'étais persuadé que l'Assemblée Constituante amènerait la monarchie.
A la question du procureur : "Que vouliez-vous institué, quel état ?", Ungern répond qu'il envisageait une dictature militaire.
Procureur : - Qu'entendez-vous par 'dictature militaire' ? "
Ungern : - Un commandement unique, et ce type de commandement débouche sur la monarchie.
L'accusé affirme par la suite qu'il servait Sémionov, et celui-ci Koltchak. Il considérait Sémionov comme son "chef", son supérieur hiérarchique.(...)
Procureur : - Avez-vous ordonné d'incendier des villages ?
Ungern : - Oui, les troupes agissaient selon mes ordres.
Procureur : - Quand vous vous dirigiez vers Menzou en détruisant villages et hâmeaux, étiez-vous au courant que l'on jetait les gens dans les roues, dans les puits, et que, de manière générale, ils subissaient des cruautés de caractère bestial ?
Ungern : - C'est faux.
(...)
Plus loin il apparait qu'Ungern, selon ses dires, n'incendiait que les villages de bolchéviques. Il assure que ces villages étaient inhabités, vides.
Procureur : - Où étaient passés les villageois ?
Ungern : - Ils s'étaient enfuis.
Procureur :- Ne croyez-vous pas que votre seul nom suffisait à les remplir d'effroi, et qu'ainsi ils s'enfuyaient à votre approche ?
Ungern : - C'est vraisemblable.
Procureur : - Quand Ourga fût prise, y-eût-il des meurtres, des pillages ?
Ungern : - Oui. Au début les soldats affrontaient les soldats, mais après les Mongols s'en prirent aux Chinois.
Procureur : - Avez-vous donné l'ordre d'arrêter toutes les perquisitions, sauf celles concernant les Juifs ?
Ungern : - Oui, j'ai déclaré tous les Juifs hors-la-loi.
Procureur : - Qui a ordonné de fusiller les membres du Central-Soyouz ?
Ungern : - Moi.
Procureur : - Pourquoi ?
Ungern : - Ils servaient le pouvoir soviétique.
Ensuite viennent des témoignages sur les exécutions en Mongolie et en Russie (...) Ungern déclare avoir autorisé l'exécution du prêtre Parniakov car celui-ci était le représentant d'un comité quelconque. A la question du procureur : "De quel comité ?", Ungern ne sût répondre précisément.
Procureur : - Saviez-vous que Sipailo spoliait et torturait les habitants, les battait avec un bambou jusqu'à les écorcher ?
Ungern :- J'étais au courant.
Procureur : - N'étiez-vous pas au courant qu'il s'emparait des biens et de l'argent de ceux qui lui tombaient entre les mains ?
Ungern : - Non.
Procureur : - Vous deviez l'être, car il volait pour remplir les caisses, et il fallait subvenir aux besoins de la troupe.
Ungern : - Possible.
Procureur : - Quelles peines autorisiez-vous ?
Ungern : - Exécution par balles et pendaison.
Procureur : - Et le bâton ?
Ungern : - Avec la population non, avec les soldats oui.
Procureur : - Jusqu'à combien de coups, et sur quelles parties du corps : sur les jambes ou bien sur tout le corps ?
Ungern : - Sur tout le corps, jusqu'à 100 coups de bâton.
Procureur : - Immobilisiez-vous les gens sur la glace ?
Ungern : - Oui, quand nous étions en expédition.
Procureur : - Et la population aussi ?
Ungern : - Non, seulement les soldats, ceux mis aux arrêts.
Procureur : - Et avec les femmes ?
Ungern : - Non.
Le procureur propose de lire une déposition d'Ungern quand celui-ci se rappelle qu'une femme avait été assise sur le feu.
Procureur : - Vous l'avez attachée sur le couvercle chauffé au rouge ?
Ungern : - Oui.
Procureur : - Ces mesures étaient-elles comme des punitions ou bien des tortures ?
Ungern : - Des punitions.
(...)
Plus loin il apparait qu'Ungern avait même établi un contact avec les Khounkhouz, leur proposant une action commune, selon ses mots, contre la Chine révolutionnaire. Il considère que la légende selon laquelle un "baron Ivan" viendrait libérer la Mongolie, le désigne.(...)
Procureur : - Vous avez écrit que l'internationale communiste a pris naissance il y a 3000 ans à Babylone, croyez-vous à cela ?
Ungern : - Toute l'Histoire le prouve.(...)
Procureur : - Ne trouvez-vous pas que votre "croisade" illustre de manière exemplaire le destin de toutes les aventures récentes menées au nom des mêmes idées, et n'estimez-vous pas que ce fut la dernière d'entre-elles ?
Ungern : - Oui, la dernière. Je suppose que c'était la dernière.
L'interrogatoire du procureur s'achève ici. A la question du tribunal, "A-t-il donné l'ordre d'éliminer tous les Rouges ainsi que tous ceux soupçonnés de sympathie envers eux ?", Ungern répond par l'affirmative.
(...)
paru dans "la Russie soviétique" (Novonikolaevsk), №200 (560), 17 septembre 1921. C.4.




"Je n'oublierai jamais la terrible inspection que nous avons dû subir en nous présentant au recrutement. Les minutes semblaient des siècles et nous étions tous au bord de la rupture nerveuse. Pour la première fois je vis le Baron et déjà, je ne regrettais pas de ne pas l'avoir rencontré plus tôt. Il était grand et maigre, avec le visage émacié de l'ascète. Il avait les yeux bleus aqueux, le regard fixe et pénétrant. Il disposait du don redoutable de lire dans les pensées. Une volonté de fer et une résolution sans failles animaient ses yeux jusqu'à un point relevant de la folie, du diabolique.(...) Il avait les mains anormalement longues et une petite tête logée entre deux larges épaules. Le front était large avec une horrible cicatrice, marque d'un coup de sabre, sous laquelle s'agitaient des veines rouges. Ses petites lèvres blanches étaient sévèrement fermées et de longues moustaches blondes retombaient en désordre sur un étroit menton. Un oeil était un peu plus haut que l'autre. Il portait un bonnet sale, une courte veste de soie chinoise couleur grenat, un pantalon militaire bleu foncé et de grandes bottes bouriates pour les longues équipées. Dans sa main droite il tenait son célèbre bambou, il n'avait pas d'autre arme.
Il fit lui-même l'inspection. Il s'arrêtait devant chacun séparément, le regardait fixement quelques secondes et ensuite hurlait : "Bon pour la troupe", "Retour au bercail", "Liquider". Tous les hommes ayant des défauts physiques furent fusillés.*(...)
Sorte de chevalier errant, de bandit, de par ses origines et ses manières, le Baron mena une vie entière, remplies d'aventures passionnantes et ininterrompues. Au début des années 20, avec ses croyances, inclinaisons, il était déjà comme un "vieux". S'il avait pu naître au Moyen-Age, sans doute serait-il devenu un guerrier célèbre, mais il n'y avait pas de place pour lui au 20-ème siècle. Son rêve de créer un empire en Asie centrale avec des hordes de nomades sous sa direction était d'un autre temps. Ses maîtres bouddhistes lui ayant enseigné la réincarnation, il était persuadé qu'en tuant de simples gens il leur rendait un service, car ils acquéraient ainsi une forme supérieure dans leur vie suivante. Toutes ces doctrines à propos d'un "homme supérieur" l'avaient rendu sans pitié, envers soi mais aussi les autres. On lui avait dit qu'il était le dieu de la guerre réincarné, (...) et dans son esprit déséquilibré il se prenait pour le sauveur du monde."
Д.Д. Алешин - D.D. Alechine, officier de Koltchak
*note de Kouzmine : d'autres récits contredisent cette description.

sources : "Le baron Ungern dans les documents et les mémoires", sphère Eurasia, Kouzmine 2004


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